Au cours des dernières semaines, la publication du rapport américain Make America Healthy Again (MAHA) a relancé le débat autour des aliments ultra-transformés (AUT) et leur rôle face à la santé publique. Le rapport en question insiste lourdement sur les AUT comme responsables des maladies chroniques et confirme que la Food and Drug Administration (FDA) américaine prévoit définir officiellement ce terme, geste qui pourrait forcer à revoir les lignes directrices alimentaires, les programmes de diners à l’école et l’étiquetage des produits. Mais ces efforts destinés à identifier les coupables de l’augmentation des taux de maladies chroniques risque d’exagérer le rôle de la transformation alimentaire au point de causer plus de tort que de bien.
En tant que nutritionniste professionnelle et défenseure de la santé publique, j’apprécie les conversations sérieuses à propos de l’obésité, du diabète et de l’inégalité d’accès aux aliments nutritifs. Ces enjeux sont réels et pressants tant aux États-Unis qu’au Canada et méritent une discussion réfléchie au moment même où des cibles mondiales sont en cours de définition. En représentant les AUT comme l’unique vilain, on simplifie à outrance un défi complexe et on risque de stigmatiser ce qui justement rend notre système alimentaire sécuritaire, accessible et abordable.
La transformation des aliments n’est pas le problème; en fait, elle fait partie de la solution. Elle contribue à réduire les pertes, à prolonger la durée de conservation, à éliminer les toxines, à fortifier les produits à l’aide d’éléments nutritifs essentiels et à nourrir des millions de Canadiens toute l’année durant. Dans les communautés rurales et éloignées, les produits durables et emballés sont souvent des denrées vitales.
Le discours au sujet des AUT manque souvent de clarté et d’uniformité. Le système de classification NOVA, amplement cité dans la littérature mondiale, est large et subjectif. Il regroupe souvent des aliments riches en éléments nutritifs comme les céréales fortifiées, les pains de grains entiers ou les substituts du lait à base de plantes avec des produits conçus comme gâteries ou pour la célébration. Un mode de vie sain peut pourtant accommoder les deux. En les regroupant, on crée de la confusion chez les consommateurs et on nuit à la prise de décision informée. Le véritable enjeu ne réside pas dans le mode de fabrication des aliments, mais dans leur contenu et leur place dans une alimentation généralement saine.
Comme le souligne la British Nutrition Foundation, bien que les études relient la forte consommation d’AUT à de piètres résultats de santé, ces résultats sont en grande partie tirés d’observations et n’indiquent aucunement la causalité. L’obésité est un problème de santé multifactoriel influencé par bien plus que l’alimentation. L’Organisation mondiale de la santé souligne le rôle des facteurs génétiques, psychosociaux et environnementaux, tandis qu’une récente étude exploratoire identifie plus de 80 facteurs contributifs, dont le revenu, le stress, le sommeil, la connaissance des aliments et l’urbanisme. Mettre l’accent sur la seule transformation empêche de voir l’ensemble de la question et nous détourne de solutions à plus grand impact.
Nous ne suggérons pas que tous les aliments transformés ont une valeur nutritionnelle équivalente. Mais en écartant une catégorie entière, on ferme les yeux sur sa contribution à la santé publique. Au Canada, les manufacturiers ont collaboré avec Santé Canada afin de réduire le sodium, le sucre et les gras saturés en plus d’introduire un étiquetage frontal plus clair afin de soutenir les choix informés.
La fortification a permis de lutter contre les carences en éléments nutritifs essentiels, comme par l’ajout de vitamine D aux produits laitiers et substituts, d’acide folique à la farine et de fer aux céréales. Il s’agit là d’améliorations significatives qui soutiennent une alimentation plus saine partout au pays.
La transformation jour aussi un rôle critique en innocuité des aliments, en prévention du gaspillage et en contrôle de la contamination. Toutes ces démarches sont essentielles pour assurer une offre alimentaire stable et sécuritaire. La promotion d’habitudes alimentaires saines demande une panoplie complète d’outils : éducation, accès et choix d’aliments à longue conservation et fortifiés capables de répondre aux besoins diversifiés des Canadiens. Donc, la simplification à outrance des messages peut avoir des conséquences indésirables. En visant uniquement la transformation, nous risquons de réduire la confiance, de stigmatiser les prix abordables et d’ignorer les facteurs systémiques plus larges comme la pauvreté, l’éducation et l’infrastructure.
On ne peut non plus ignorer les implications du discours anti-AUT sur les personnes de divers genres. Quand on demande de « cuisiner à partir d’ingrédients frais », on omet de tenir compte des réalités des ménages à double revenu, des déséquilibres en termes de travail non-rémunéré et du manque de temps. Ces pressions sont ressenties de façon plus aigüe par les femmes. Au Canada, les femmes effectuent plus de 60 % de tout le travail ménager non-rémunéré, comme la préparation des repas, malgré qu’elle participent presqu’autant au travail à l’extérieur. Les choix transformés à longue durée de conservation apportent souvent un soulagement crucial en termes de temps et de travail. En les dénigrant, on se trouve à perpétuer des attentes dépassées et inéquitables.
Face aux taux croissants de maladies chroniques, la conversation devrait reposer sur les faits plutôt que l’idéologie. Le rôle de la transformation dans le soutien à l’innocuité, à l’accès et au caractère nutritif des aliments passe trop souvent inaperçu. Les manufacturiers canadiens d’aliments et de boissons collaborent avec le gouvernement afin de reformuler les produits, améliorer la transparence et offrir davantage de choix. L’Agence canadienne d’inspection des aliments est chargée de faire respecter les règles strictes en matière d’allégations santé de la Loi sur les aliments et les drogues. Ces mesures de protection, ainsi que l’investissement de l’industrie dans une publicité responsable et l’éducation en nutrition, contribuent à s’assurer que les Canadiens disposent de l’information et des choix leur permettant de prendre des décisions informées pour leur famille comme pour eux-mêmes.
Si nous souhaitons un avenir meilleur, il nous faut des solutions collaboratives, contextuelles et complètes. Faisons progresser le débat en évitant la pensée en noir et blanc. Le fait de dénigrer certains aliments ne nous mène pas vers une meilleure santé, mais des stratégies pratiques, inclusives et fondées sur les faits pourraient y parvenir.
Cette lettre ouverte a été publiée à l’origine sur LinkedIn.